Un mot sur le développement durable en Inde

Petit état des lieux

L’Inde est l’un des plus gros pollueurs de la planète. Dès qu’on y met les pieds, ce constat saute aux yeux. La gestion des déchets est particulièrement désastreuse, ou inexistante. Les centrales au charbon pullulent et de nombreuses sont en construction. Le nombre de véhicules personnels (auto, moto, scooter) augmente exponentiellement et les grandes villes sont sans cesse congestionnées.

Pourtant, il ne faut pas oublier que l’Inde est un immense pays de plus d’1 milliard d’habitants dont la population est en constante augmentation. De plus, une grande majorité d’entre eux vivent dans des conditions très rudimentaires : ils sont illettrés (dans le monde 1 personne illettrée sur 3 vit en Inde), ils n’ont pas l’électricité, pas de véhicule, ni même de toit pour certains. En moyenne, un indien pollue donc moins (beaucoup moins) qu’un français. L’Inde, à elle toute seule, a donc potentiellement un impact dévastateur sur le climat planétaire si chaque indien se mettait à vivre comme nous, occidentaux. Ce qui fait peur, c’est de voir que toutes les publicités à la télé ressemblent aux nôtres : c’est la même société de consommation qui semble s’imposer comme modèle à suivre. Les plus riches vivent déjà ce ‘’rêve’’ en allant au mall climatisé pour s’acheter des crèmes éclaircissantes pour se faire blanchir la peau.

L’Inde se développe. En termes économiques, c’est certain car ils affichent depuis plusieurs années une croissance supérieure à 8 %. Les milliardaires indiens ne sont plus rares et les plus grands groupes industriels commencent même à racheter des entreprises occidentales (le géant indien Tata par sa filiale Tata tea limited a racheté l’anglais Tetley en l’an 2000).Mais ce développement s’accompagne d’un creusement exceptionnel des inégalités en l’absence d’un système de protection sociale, d’écoles publiques qui fonctionnent, d’hôpitaux dans les campagnes et à cause d’une corruption qui semble généralisée à tout les niveaux empêchant des améliorations quand les budgets sont disponibles et enrichissant les mieux lotis…

En fait, la stabilité sociale de l’Inde tient d’un miracle à la fois quotidien et millénaire qui porte un nom : l’hindouisme. Sans rentrer dans les détails, la division de la société en caste permet à chacun d’accepter sa condition. Expliquer les castes nécessiterait un article entier mais pour résumer on appartient à une caste de par sa naissance, elle est inscrite dans son nom de famille et correspond à une profession que la famille effectue(ait) de générations en générations (cordonnier, balayeur, prêtre,…), chacune de ces castes de métiers se range dans 4 castes plus générales et hiérarchisées (en haut les brahmanes tout en bas les dalits, les hors castes, condition très peu enviable en Inde), on ne peut pas changer de caste au cours de sa vie mais simplement espérer se réincarner après sa mort dans une caste supérieure si on a vécu une vie correspondant à sa condition de caste (c’est un beau piège quoi !). Gandhi a longtemps combattu l’inégalité dûe aux castes et aujourd’hui l’état ne reconnaît plus officiellement ce système. Mais en pratique, les familles et presque toute la société continuent de vivre sous un système de castes plus ou moins caché. Les castes supérieures, qui ont longtemps bénéficiés de nombreux privilèges, continuent d’occuper les plus hautes fonctions de la société.

Pour finir, l’Inde suit une voie différente de son voisin chinois. Pour faire simple, la Chine base son développement sur une économie de productivisme industriel. Son objectif, déjà atteint, est de devenir l’atelier du monde en fabricant à bas coût grâce à une main d’œuvre bon marché et une monnaie sous évaluée. Mais l’économie de la Chine est tellement dépendante des exportations qu’elle rachète elle-même les bons du trésor américains pour qu’ils continuent à acheter ses produits. En plus, de nombreux économistes, malheureusement peu écoutés, prévoient une explosion de la bulle immobilière chinoise dans les prochaines années conduisant à une crise plus grave encore que celle des subprimes de 2008. L’Inde préfère parier sur la qualité de ses produits ce qui permet de préserver son identité industrielle et technique et de conserver son savoir-faire. La croissance indienne est en définitive plus faible que celle de la Chine mais il semble que ce soit un choix volontaire. Cela permet d’intégrer plus souplement et durablement les changements accompagnant une si forte croissance. Rajouter à cela que l’Inde est une terre de tolérance religieuse (toutes les grandes religions sont implantées plutôt pacifiquement : mosquées, temples hindous, églises…), une culture incroyable (plus de films produits qu’à Hollywood), la liberté de la presse, la liberté d’opinions, la démocratie, un vaste et dynamique marché intérieur… la Chine pourrait s’écrouler que l’Inde serait là, debout sur ses deux pieds, toujours étincelant. Comme quoi, la croissance seule n’explique pas tout.

Les déchets

Il faut qu’on touche un mot sur les déchets. On prévient, c’est un sujet… déprimant ! Les déchets, c’est le prochain grand chantier en Inde, c’est un vrai challenge à accomplir pour changer les comportements. On voit des déchets  partout. Les chemins de fer tracent des lignes de détritus dans le paysage. Les indiens jettent tout par la fenêtre, ignorant qu’un bout de plastique ne se désintègre pas avant des centaines d’années. Les rivières sont toutes polluées de déchets industriels. Dans les villes, elles sont transformées en égout à ciel ouvert et les cochons y barbotent et trouvent leur nourriture. Dans les villes encore, certains terrains vagues servent de décharge, étrangement il s’agit souvent des quartiers pauvres, les gens habitent autour. Les quartiers plus riches, eux, bénéficient d’un ramassage public des ordures. Le tri sélectif est une utopie qu’on n’aperçoit qu’à l’aéroport flambant neuf de New Delhi. D’ailleurs, la poubelle est un objet rare. La plupart des poubelles publiques sont accompagnées d’une pancarte ‘’use me’’ et trônent tristement à côté d’un tas d’ordure. Pour se débarrasser des déchets qui jonchent de ci de là les indiens les rassemblent et les brûlent. Plastiques, cartons, déchets organiques… tout part en fumée. Ce qui n’est ni bon pour la santé quand on traverse un de ces nombreux nuage toxique, ni bon pour la pollution atmosphérique.

Electricité

L’Inde possède l’énergie nucléaire ce qui ne l’empêche pas de construire en masse des centrales à charbon et de souffrir de pénuries d’électricité (qui a dit que le nucléaire permettait d’éviter les centrales au charbon ??). Dans de nombreuses villes les coupures sont quotidiennes. Parfois, les coupures sont annoncées mais souvent elles sont aléatoires. Ainsi, même si le réseau électrique atteint le moindre village, la disponibilité électrique est très variable (cela doit dépendre des valises de billets que laissent les maires ou les notables). En fait, pour faire tourner son business il faut un groupe électrogène au diesel en parallèle : c’est cher et ça pollue encore plus qu’une centrale. D’ailleurs, il semblerait que les rickshaw arrivent de moins en moins à obtenir des clients à cause du prix élevé de l’essence qui se répercute sur le prix de la course (Au passage, méfiez-vous quand un politicien vous promet qu’il va diminuer le prix de l’essence. C’est normal que le prix de l’essence augmente, la ressource est limité, ça coûte de plus en plus cher d’aller en chercher, tellement cher qu’on n’hésite plus à forer en très haute mer des puits qu’on pensait inaccessible avant !)

La plus importante utilisation de l’électricité (après l’éclairage) c’est pour les ventilateurs et les frigos. Quand ils le peuvent, les indiens installent la climatisation et on les comprend (malgré une sensibilité écologique certaine, c’est un vrai bonheur de trouver une température confortable de 20-25°C quand il fait plus de 40°C dehors). L’isolation est une notion inconnue. Quasiment toutes les maisons sont construites en brique, un coup de peinture et basta ! Des trous dans les murs permettent la ventilation mais font rentrer la chaleur (entre chaud ventilé et chaud sans air on préfère les courants d’airs !). Dans le nord de L’Inde, les mois de décembre-Janvier sont particulièrement froids mais comme ça dure pas longtemps, les indiens ont froid. Le reste de l’électricité c’est pour les industriels qui font ce qu’ils veulent ici (corruption quand tu nous tiens…).

Les douches à l’eau chaude sont très rares. Les indiens prennent traditionnellement des bains sacrés dans les ghâts ou des cours d’eau. On ne trouve donc quasiment pas de système de chauffage solaire à part dans le nord de l’Inde, dans les hôtels ou les maisons aisées. Le reste des systèmes d’eau chaude c’est au gaz naturel ou au seau (une bassine d’eau chauffée par une résistance électrique). L’avantage du sud, c’est qu’on préférera une douche froide !

Concernant la production d’électricité par les énergies renouvelables, l’Inde aussi  prépare son avenir. Il semblerait que l’Inde ait comme dessein de financer la construction de barrages hydroélectriques au Népal pour acheter leur électricité. L’Inde est en effet un pays globalement plat sauf dans quelques petits états du Nord compris dans la chaîne de l’Himalaya. Le vrai potentiel hydroélectrique encore inexploité se trouve donc au Népal. Mais les népalais ne sont pas dupes et voient d’un œil méfiant l’appétit de leur géant voisin sur leur ressources naturelles car (faut-il le rappeler ?) la construction de grands barrages s’accompagne toujours de grands bouleversements écologiques et sociaux (déplacement de population, assèchement de cours d’eau, …). Là aussi, une valise devrait faire l’affaire.

Les éoliennes aussi poussent à certains endroits du pays. Dans le désert du Thar, tout autour de Jaisalmer, c’est une véritable forêt de moulins à vent qui s’étend dans toutes les directions. Le vent y est constant et la rugosité du terrain est presque nulle (pas de dunes ni de collines qui feraient perdre sa force au vent). Enfin, entre Tanjore et Trichy dans le Tamil Nadu, des centaines de gigantesques pilonnes d’éoliennes  attendent d’être montés et de gros convois circulent sur l’autoroute.

Agriculture

Ma connaissance de l’agriculture est insuffisante pour faire une description pertinente tirée de notre voyage. Il semblerait néanmoins que toutes les formes d’agriculture existent encore ici et une grande partie de la population travaille encore dans le secteur primaire. Les chars à bœufs croisent tracteurs et moissonneuse batteuses. Sur certaines terres on pratique encore le brûlis quand d’autres sont passés aux OGM (aïe !). Quoiqu’il en soit l’Inde ne subit plus de famines comme il y a 20 ou 30 ans !

Potentiel

Pour finir cet article voici ma vision du potentiel de l’Inde en termes de développement durable. L’Inde est un monstre immense qui se réveille. Le pays est en mouvement et fonce dans toutes les directions. Tout reste encore à faire : gestion des ordures, centrales électriques, infrastructures de transport … Pour moi, c’est ce qui explique ce taux de croissance si élevé : les indiens cherchent leur place dans un monde moderne qu’ils sont en train de construire.

Les atouts de l’Inde sont nombreux. D’abord, les indiens forment maintenant de très bon ingénieurs capables d’affronter ces défis d’avenir. Ensuite ils possèdent un territoire très grand. La densité du pays est impressionnante, mais les populations s’entassent dans les villes laissant de vastes territoires où des projets d’énergie renouvelable pourraient s’implanter. C’est l’énergie solaire, très intense ici, qui devrait mobiliser les plus grands efforts de développement. Le photovoltaïque est encore inexistant (à part pour l’éclairage publique mais les batteries sont volées et le mauvais entretien limite la performance des panneaux à cause de poussières) Le vent est disponible dans ce pays plat et la très longue côte indienne permet aisément l’implantation de nombreux projet d’éolien off-shore.

Bien sûr, ce potentiel n’est encore qu’utopie mais sa réalisation dépendra aussi de choix politiques que devront prendre les responsables indiens dans les années qui viennent. Il est encore légitime que l’Inde pollue, ils rattrapent en effet le développement que nous avons effectué à leur dépend (colonisation britannique) à fort coût environnemental pour la planète (le CO2 s’accumule dans l’atmosphère, il met plus de 200 ans à disparaître). Mais le temps est compté car très vite l’Inde perdra cette légitimité en se heurtant au mur du réchauffement climatique qu’ils subiront de plein fouet dans un pays déjà aride et chaud. La soutenabilité d’une société n’est pas juste idéaliste elle est nécessaire car sinon, inévitablement, l’implosion soudaine du système entrainera des catastrophes écologiques ou sociales. C’est en combattant la corruption de ses dirigeants que l’Inde trouvera à terme une voie de sortie par le haut les menant vers une diminution sans précédent de leur impact sur l’environnement en bénéficiant des leçons tirées par l’occident.

Comments
4 Responses to “Un mot sur le développement durable en Inde”
  1. Anonyme dit :

    Cet article m’a beaucoup aider merci beaucoup de votre culture !

  2. HAY Chantal dit :

    excellente synthèse merci Mathieu,mais pfffffffffttt il y a encore du pain sur la planche !
    bisous , bonne continuation Chantal

  3. Anonyme dit :

    C est Fred le cousin d Alex Lopez.
    J ai lu quelques uns de tes posts avec plaisir.
    Je suis actuellement au Ghana a Kumasi pour un stage (agroforesterie dans champs de cacao) et je retrouve beaucoup des choses que tu decris: dechets jetes partout, coupures d electricite, bouchons monstrueux avec les vehicules augmentant en nombre et les infrastructures ne suivant pas, climatisation frigorifique comme signe exterieure de richesse. Comme aspect environnemental je vois aussi beaucoup de deforestation. Ici au Ghana c est le barrage d Akosombo sur la Volta (plus grand lac artificiel du monde) qui fournit l essentiel de l electricite (meme au Togo et a la Cote d Ivoire voisins) mais ca ne suffit pas lors des pics de consommation.
    Je me souviens avoir lu un article predisant avec le developpement economique et demographique combinee avec le rechauffement climatique une demande d energie liee a la climatisation absolument monstrueuse, on verra ce qu il en sera.
    Je te souhaite de bien profiter du reste de ton voyage.

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